
Afin de répondre à l’enquête qualitative « Questionner les pratiques et les récits des usagers du littoral s’adonnant à une activité physique, sportive ou récréative dans des espaces atteints par l’eutrophisation », 36 observations de terrain ont eu lieu sur les sites de la Lieue de Grève, de Guissény, de Brest, de Douarnenez et de la Forêt-Fouesnant. S’y ajoutent 13 entretiens semi-directifs, menés auprès de différents pratiquants, professionnels du secteur nautique et membres d’associations de défense de l’environnement.
Il ressort de l’étude que la position socio-spatiale joue un rôle central dans la perception de l’eutrophisation. Cette notion permet d’articuler les logiques sociales et spatiales dans la compréhension des pratiques sportives de nature. Plus précisément, elle donne à voir la façon dont les pratiquants de sports nautiques et littoraux perçoivent les phénomènes d’eutrophisation. Autrement dit, touché par les marées vertes, l’espace de pratique est perçu différemment selon les activités et pour des raisons socio-économiques, socio-culturelles, écologiques, politiques ou symboliques.

Photo prise sur la plage de Plestin les Grèves, le 9 mai 2025. En arrière plan, un échouage d’algues vertes
Cela influence la manière dont les individus pratiquent, perçoivent et construisent socialement et symboliquement l’espace littoral.
En fonction de la position socio-spatiale des individus, l’enquête met en évidence que les pratiquants de sports terrestres en bord de mer (randonnée notamment) témoignent d’une prise de recul aussi bien sociale que spatiale vis-à-vis des phénomènes d’eutrophisation, et montrent une certaine capacité d’objectivation critique de leurs origines. À l’inverse, plus l’individu est au contact direct des marées vertes (pratiques immergées comme le surf ou le kitesurf), plus son discours sera nuancé, teinté de contradictions, en proie aux nombreux enjeux territoriaux. Parfois même, les individus les plus exposés et les plus dépendants de l’espace de pratique (professionnels du nautisme) ont tendance à minimiser l’eutrophisation, en mobilisant des registres comme l’historicisation, l’accommodation, la naturalisation ou encore la délocalisation, en reportant par exemple la problématique vers d’autres espaces alentours, et en stigmatisant les plus touchés.
En ce sens, la notion de position socio-spatiale, en ce qu’elle permet une approche multiscalaire (géographique, socio-professionnelle, socio-culturelle), apparaît la plus pertinente pour comprendre la perception de l’eutrophisation. Au contact prolongé de l’eutrophisation, les individus historicisent leurs récits. Les discours peuvent être dénonciateurs et accusateurs, ou négationnistes et associés au déni. Certains évoquent la présence historique des algues vertes pour justifier leur naturalité. L’accommodation à l’eutrophisation est souvent présente chez les pratiquants d’activités nautiques qui se disent attachés à leur lieu de pratique et qui continuent de le fréquenter par habitude. Malgré leur rejet des marées vertes, les pratiquants s’en accommodent par fidélité à leur activité, et adoptent leur propre gestion du risque.
En Bretagne, où l’image du littoral est idéalisée, les qualités récréatives et paysagères priment sur les risques liés à l’eutrophisation.
Ainsi, les perceptions varient selon l’activité, le matériel utilisé et la dépendance à la pratique. La sensibilisation diffère entre les sports ayant un contact direct avec l’eau (surf, longe-côte) et ceux où les pratiquants sont plus éloignés de celle-ci (voile). Les sports les plus immergés, perçus comme les plus impactés, sont aussi ceux dont les pratiquants montrent la plus grande accommodation. Ces sports relèvent moins d’une conscience écologique que d’une logique naturaliste, centrée sur la pratique
Cette enquête a été menée dans le cadre du stage de M1 de Manu Fonléno, encadré par Camille Gontier.